- KRAUTHEIMER (R.)
- KRAUTHEIMER (R.)Richard KRAUTHEIMER 1897-1994De son propre aveu, Richard Krautheimer ne manifesta pas pour l’histoire de l’art un intérêt précoce: lorsque, à la fin de la Première Guerre mondiale, il reprit, âgé de vingt et un ans, ses études supérieures, il s’orienta vers le droit. Mais, à l’université de Munich, l’enseignement de Heinrich Wölfflin (1864-1945), exerça sur lui une influence décisive, et, à Berlin, enfin, il apprit de Paul Frankl comment on pouvait “lire” un monument en fonction du lieu où il se trouve, de sa fonction, de son contexte historique, économique et social. Sa “dissertation” sur Les Églises des ordres mendiants en Allemagne (1923) prenait, dans une certaine mesure, le contre-pied des théories de Georg Dehio, fondées sur l’analyse formelle et descriptive des monuments.L’étude de l’architecture fut l’axe majeur des recherches menées pendant soixante-dix ans par Richard Krautheimer. La découverte de l’Italie où il fit un long séjour en 1924-1925 avec sa femme Trude Hess, fut sans doute déterminante, et, peu après, d’abord avec August Griesebach, professeur à Heidelberg, puis, à partir de 1927, avec Ernst Steinmann, directeur de la Bibliotheca Hertziana de Rome, il conçut le projet d’un corpus des basiliques chrétiennes de la Ville sainte. Une thèse sur les Synagogues du Moyen Âge , soutenue à l’université de Marbourg en 1929, lui donna accès au professorat.Les lois raciales de 1933 le privèrent de cette chaire: ce Franconien (il était né à Fürth, non loin de Nuremberg) préféra s’exiler à Rome, où l’Institut pontifical d’archéologie chrétienne accueillit ses recherches pour le Corpus . Dès 1935, il prit, comme tant d’autres universitaires juifs allemands, le chemin des États-Unis, où il occupa un poste à l’université de Louisville (Kentucky), puis, à partir de 1937, au célèbre collège féminin de Vassar, plus proche de New York, où, autour des grands exilés comme Erwin Panofsky, Karl Lehmann, Walter Frielaender ou Adolf Goldschmidt, venait se former une nouvelle génération d’historiens d’art américains. Cette période de travail intense, marquée par une double activité d’enseignement (assez général à Vassar, hautement spécialisé à l’Institute of Fine Arts de New York), aboutit à la publication en 1942 de deux ouvrages importants, l’Introduction à l’iconographie de l’architecture médiévale et La Renaissance de l’architecture chrétienne primitive à l’époque carolingienne (Carolingian Revival ). Malgré les difficultés de l’après-guerre, le Corpus des basiliques romaines progressait: le premier volume avait paru en 1937, le deuxième en 1959, le troisième en 1965, le quatrième en 1970 et le cinquième en 1976. L’achèvement de cette entreprise considérable avait requis la collaboration de nombreux spécialistes, architectes ou archéologues, choisis souvent par le maître d’œuvre parmi ses élèves. La réflexion nécessaire sur l’ensemble des problèmes posés par le développement de l’architecture chrétienne, de ses origines à la fin du haut Moyen Âge, avait nourri parallèlement un livre, plutôt destiné aux étudiants, Early Christian and Byzantine Architecture (coll. The Pelican History of Art, Penguin, 1965). Le désir de remettre dans une perspective historique globale les monographies juxtaposées du Corpus s’accomplissait dans l’ouvrage Rome. Profile of a City (1980), le plus largement diffusé sans doute des livres de Richard Krautheimer.Ainsi l’œuvre de ce savant apparaît-elle à première vue comme remarquablement unitaire et tout entière orientée vers les origines et le développement de l’art chrétien; des études plus particulières comme “Mensa, Coemeterium, Martyrium ”, parue en 1960 dans les Cahiers archéologiques , ou l’attention qu’il portait en 1990, malgré son âge avancé, aux fouilles de l’église primitive de San Lorenzo in Damaso, sous le Palazzo della Cancelleria, et dont il avait deviné, dès 1938, l’importance, contribuent encore à renforcer cette impression d’une œuvre singulièrement unitaire.Ce serait oublier que, pour beaucoup d’historiens d’art, Richard Krautheimer est aussi l’auteur d’une monographie monumentale et exemplaire consacrée à Lorenzo Ghiberti . Élaboré en collaboration avec sa femme à partir de 1950, publié en 1956, réédité en 1970, ce livre est un modèle à la fois d’érudition et de finesse d’analyse et manifeste le souci constant de remettre l’artiste dans son contexte social et intellectuel.La restauration des portes du baptistère, à laquelle l’auteur avait pu assister lors de ses séjours à Florence, fut le révélateur d’un vieux projet, écarté plus que refoulé, qui remontait sans doute à une thèse, jamais soutenue et jamais publiée, que Richard Krautheimer avait voulu présenter en 1926 et qui s’intitulait L’Art plastique aux alentours de 1400 . Le problème des rapports entre le “style gothique international” et les débuts de la Renaissance italienne est en effet l’un des points forts de la monographie sur Ghiberti, et l’on peut regretter que ni le projet d’un livre analogue sur Jacopo della Quercia ni surtout les recherches sur Leon Battista Alberti (sujet de plusieurs conférences et séminaires) n’aient abouti.Mais il serait inexact de souligner à l’excès le contraste entre ces deux champs d’étude: Richard Krautheimer n’avait rien d’un Janus bifrons, une face vers l’art paléochrétien, l’autre vers la Renaissance. Les deux pôles de ces recherches s’inscrivaient en fait dans une vision largement diachronique de l’art, et il est significatif que son livre Rome. Profile of a City , limité à la période 312-1308, n’ait été conçu que comme le premier “volet” d’un triptyque qui aurait mené le lecteur du temps de Constantin à l’époque contemporaine. Seul un fragment du troisième “volet”, The Rome of Alexandre VII , fut publié en 1985.L’influence de Richard Krautheimer a été considérable: son enseignement aux États-Unis, ses longs séjours à Rome où il mourut, la nécessité de trouver des collaborateurs pour mener à bien le Corpus lui ont attiré de nombreux disciples, principalement américains, allemands et, dans une moindre mesure, italiens. Curieusement, ses rapports avec la France furent beaucoup plus distants. La multiplication relativement récente des études sur l’art paléochrétien et le haut Moyen Âge a entraîné une large diffusion des écrits de cet historien de l’art, l’un des plus importants du XXe siècle.
Encyclopédie Universelle. 2012.